Le 15 janvier dernier, l’ACPR dévoilait son programme de travail pour l’année 2024. Y était notamment indiquée la volonté de poursuivre l’analyse des engagements climatiques des institutions financières dans le cadre de la loi Énergie-Climat et du règlement SFDR.
Dans la continuité directe de cette annonce l’ACPR a publié le 22 janvier 2024 son analyse des rapports en lien avec l’application de l’article 29 de la Loi Energie Climat. Au total, 178 rapports sont étudiés sur 244 exigibles. Sur cette base, les rapports des entités avec un bilan inférieur à 500M€ (65 rapports) ont pu être analysés avec un outil de reconnaissance lexicale, tandis que pour les autres entités (113 rapports), les rapports ont été analysés de manière individuelle. L’intégralité des rapports n’a pas été étudiée pour deux raisons : les délais de remise n’ont pas été respectés pour certaines entités et quelques rapports sont considérés comme inexploitables.
De manière générale, l’ACPR souligne notamment les points suivants :
- Les rapports sont plus détaillés que l’année précédente, néanmoins aucun rapport ne respecte intégralement les attendus réglementaires et le contenu reste très hétérogène : un peu plus de 50 % des acteurs n’ont pas fourni la moitié des informations exigibles par la réglementation
- La nécessité d’aller plus loin sur la mesure des impacts financiers des principaux risques en matière ESG
- Le faible niveau de maturité sur la déclinaison opérationnelle du suivi des engagements de transition pris par les organismes
- La volonté de l’ACPR de suivre les publications et l’atteinte des engagements
Les mêmes remarques sont observées concernant les informations à fournir dans le cadre de la directive SFDR, pour les organismes entrant dans son champ d’application.
Notre benchmark 29LEC pointait déjà la forte hétérogénéité au sein des rapports et des méthodologies utilisées, ainsi que le manque de déclinaison opérationnelle des stratégies d’engagements. Bien qu’une amélioration du niveau de détail ait été constatée lors de cet exercice, le résultat d’ensemble reste en-dessous des attentes du superviseur.
Cette étude mentionne également certaines améliorations attendues pour les prochains rapports en préconisant quelques bonnes pratiques et rappelle les nouvelles exigences qu’implique le contexte plus général de prise en compte des risques du durabilité dans la gouvernance, comme le requiert Solvabilité II depuis le 2 août 2022. L’ACPR signale, en outre, que « l’absence, dans les rapports 29LEC, d’informations sur les sujets liés aux pratiques de gouvernance et de gestion des risques peut poser question sur la bonne application des assureurs de leurs obligations prudentielles ».
Démarche générale de l’entité
Enjeux ESG dans la stratégie d’investissement
L’analyse met en avant le manque de déclinaison des enjeux ESG dans la stratégie d’investissements pour les entités appartenant à un groupe : quasiment 2/3 des rapports d’entités appartenant à un groupe mentionnent uniquement la stratégie du groupe et 10 % des rapports n’évoque pas de stratégie d’investissement.
L’ACPR conseille de présenter la stratégie de prise en compte des critères ESG par gestionnaire d’actifs, par type d’investissement (direct/indirect) en explicitant pour quels fonds la stratégie s’applique (fonds euros et/ou UC). Par ailleurs, il est important de mentionner quels sont les seuils et quels types d’actifs sont concernés par les politiques d’exclusions : seulement 19 % des entités des organismes ont précisé l’exclusion avec un seuil de matérialité et le type d’actifs concerné.
Communication
L’ACPR estime que la communication envers les assurés est assez faible, notamment chez les organismes ayant un bilan inférieur à 500M€ : une communication active de la part des acteurs n’est abordée que dans 20 % des rapports. Il est important de mettre en place des canaux de communication divers comme la présentation des engagements ESG au moment de la souscription ou des courriers spécifiques ESG.
La majorité des organismes adhérant à des alliances de place ou à des chartes n’explicite que très rarement la déclinaison opérationnelle des objectifs fixés au travers de ces adhésions.
Dans son benchmark 29LEC, Addactis avait identifié cet axe comme l’un des enjeux majeurs à court terme pour les organismes d’assurance, dans la logique de déclinaison opérationnelle de la stratégie de décarbonation de l’organisme et son suivi dans le temps.
Moyens internes déployés par l’entité
L’ACPR rappelle que la description des moyens internes déployés pour la prise en compte des enjeux ESG doit être rapportée au niveau entité et non au niveau groupe, ce qui est le cas pour 47 % des rapports.
La description de ces moyens instaurés ne doit pas reposer uniquement sur les ressources humaines déployées, mais également sur les moyens techniques et financiers.
Démarche de prise en compte des critères ESG au niveau de la gouvernance
Une nette progression est observée par rapport à l’exercice précédent sur la prise en compte de la démarche ESG au sein des instances dirigeantes : 95 % des rapports mentionnent la prise en compte de la démarche ESG par au moins une instance dirigeante. De plus, les politiques de rémunération semblent mieux prendre en considération les enjeux ESG, bien que l’ACPR note un manque de détail sur ces critères.
L’ACPR souligne néanmoins que des divergences ont pu être constatées par les services de contrôle entre les informations recueillies dans un cadre de contrôle prudentiel et les informations publiques.
Stratégie d’engagements vis-à-vis des émetteurs ou des sociétés de gestion ainsi que sa mise en œuvre
L’ACPR préconise une présentation de la stratégie d’investissements par types d’actifs, pour les actifs directs et indirects. Dans le cas où la gestion d’actif est externalisée, l’ACPR recommande de mettre le lien vers la politique du gestionnaire d’actif.
Les actions menées hors des assemblées générales pour influer sur la stratégie des entreprises émettrices ne sont pas suffisamment décrites : il est important pour les organismes menant des dialogues actionnariaux d’établir un bilan des conséquences. L’ACPR mentionne que dans le cas contraire, cela peut s’interpréter comme une inaction de la part des investisseurs.
Taxonomie européenne et combustibles fossiles
Concernant les nouvelles exigences en termes de taxonomie : les ratios obligatoires ont dans leur majorité été calculés. Cependant, le taux de couverture des actifs n’est généralement pas mentionné.
Les montants publiés à propos de l’exposition aux combustibles fossiles varient jusqu’à un facteur 10 du fait de la divergence des méthodes utilisées : les entités ne présentent pas nécessairement les définitions et méthodes utilisées pour le calcul de ce ratio. Il existe en effet plusieurs approches pouvant aboutir à des résultats éloignés : certains organismes s’appuient sur une définition du périmètre issue du SFDR, d’autres sur des listes publiques d’expositions ou bien enfin sur une sélection de codes NACE. Certains acteurs ont aussi fait le choix d’écrêter les montants investis dans certaines entreprises à hauteur du pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise tiré de l’exploitation ou de l’utilisation des énergies fossiles. Tous ces ajustements sont de nature à sous-évaluer l’exposition réelle aux combustibles fossiles et rendre presque impossible toute comparaison entre acteurs.
C’est deux points engendrent une incomparabilité entre acteurs et une sous-estimation de la part réellement exposée aux combustibles fossiles. Cela rejoint une remarque plus générale d’un manque d’harmonisation dans les définitions et méthodologies utilisées.
Stratégie d’alignement avec les objectifs fixés par l’accord de Paris
L’ACPR rappelle que les objectifs en lien avec le respect des accords de Paris se doivent d’être fixés, soit en intensité carbone, soit en valeur absolue, à horizon 2030 par rapport à une date de référence. Cet horizon sera revu tous les 5 ans, et la date de référence est un élément clé pour évaluer les efforts. Pourtant, il est relevé que près la moitié des organismes ne présente pas l’année de référence.
À date, l’ACPR signale que la majorité des organismes s’appuie sur une politique d’exclusion sectorielle pour définir leur stratégie d’alignement et que le contenu des rapports ne permet pas un suivi de ces engagements. Bien qu’il y ait une meilleure prise en compte du scope 3 des émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) et de transparence des périmètres couverts par rapport à l’exercice précédent, le portefeuille d’UC est encore exclu pour de nombreux acteurs.
La sortie prévue du charbon à horizon 2030 en Europe et à horizon 2040 pour le reste du monde peut s’avérer trompeuse : elle dépend très fortement des seuils fixés et du niveau de prise en compte de la chaîne de valeur.
Objectifs de long terme liés à la biodiversité
Pour cet exercice, une nouvelle exigence est apparue concernant les objectifs de long terme liés à la biodiversité. De la même manière que pour la stratégie d’alignement aux accords de Paris, l’ACPR rappelle que les objectifs doivent être fixés à horizon 2030, en précisant le périmètre de la chaîne de valeur retenu.
L’intégration de ces risques au sein du dispositif de gestion des risques est incomplète du fait de cette exigence récente et du manque de données et de méthodologies, cette partie est la moins aboutie du rapport pour l’ensemble des acteurs : seulement 28 % des informations attendues ont réellement été publiées.
Une grande majorité des organismes a mentionné inclure des cibles de la Convention pour la diversité biologique dans leur stratégie, pour autant, seulement 18 % des rapports indiquent des objectifs chiffrés. Cette absence d’objectif chiffré peut être directement liée au manque de recul et aux difficultés à analyser et mesurer l’impact des investissements sur la biodiversité.
Prise en compte des risques ESG dans la gestion des risques
Identification des risques
L’identification des risques ESG est bien menée pour une majeure partie des acteurs, cependant, ces risques ne sont pas assez détaillés : l’ACPR recommande au travers de son analyse de mentionner :
- le caractère du risque : endogène / exogène
- l’intensité du risque, associée à un horizon de temps
- si le risque est émergent ou actuel
- tout en distinguant par risque physique et risque de transition
Il est souligné le manque de précision sur ces éléments au niveau entité. Actuellement l’identification des risques reste principalement descriptive et seulement 47 % des rapports mentionnent l’existence d’un plan d’action visant à réduire l’exposition de l’organisme aux risques ESG.
Estimation de l’impact financier
L’ACPR considère que l’estimation des impacts financiers engendrés par les risques ESG est encore trop limitée : sur 95 rapports présentant une approche d’intégration des risques ESG, seulement 43 % estime un impact quantitatif.
La communication concernant les choix méthodologiques, les données utilisées et la description des scénarios utilisés est considérée comme insuffisante : uniquement 40 % des rapports s’appuyant sur des scénarios publics (comme le GIEC ou le NGFS) mentionnent explicitement le nom. L’emploi de scénarios doit être justifié et le rapport devrait comprendre une description des principales caractéristiques de ceux-ci, selon l’ACPR.
Cet article a été rédigé par les experts Addactis :
Annabelle GARRIGUE
Director – Modeling & Risk P&C
Elie MERYGLOD
Senior Manager – Modeling & Finance Life & Health
Mehdi AHMED
Lead Product Manager – Pricing & Analytics P&C
Thibaut GILLIARD
Director, Deputy Head of Modeling & Finance Life & Health
L’Obervatoire addactis® : Benchmark rapports ESG article 29 – 2023
Au-delà d’un positionnement marché, à travers ce benchmark, nos experts partagent leurs analyses et convictions pour vous éclairer sur les enjeux ESG :
- L’identification et la mesure des risques ESG
- La poursuite de l’engagement et de la consolidation de la stratégie ESG
- La quantification des impacts financiers
- L’évolution de l’offre et de la communication
- Le plan d’actions